En flânant sur Internet, ce matin, j’ai pu lire 3 fois la sacro-sainte phrase évoquant « le nuage de Tchernobyl qui se serait arrêté aux frontières ».
Cette histoire du nuage dont « ON » aurait dit qu’il n’aurait pas survolé le pays fait maintenant partie des légendes urbaines au même titre que les caïmans retrouvés dans les égouts de
Los Angeles (ou de Paris), le chat qu’on aurait séché dans un micro-ondes ou la dame blanche de Palavas (et autres lieux).
La différence est que, si les derniers exemples cités ne sont plus vraiment pris au sérieux, le nuage de Tchernobyl est régulièrement cité – avec le
plus grand sérieux et comme l’énoncé d’une évidence – par les adeptes du complot genre « on nous cache tout, on nous dit rien ».
Sachant que cette légende a été depuis longtemps mise en pièces par des articles, des ouvrages et même par l’encyclopédie Wikipedia, j’ai voulu voir qu’elle peut être son impact dans la
littérature quotidienne.
J’ai donc fait appel à l’ami Google et lui ai demandé de me faire savoir combien de pages Internet contenaient TOUS les mots suivants : « nuage », « Tchernobyl »
« arrêté » et « frontière ». Il fallait en effet être certain que les réponses proposées correspondraient bien à l’événement en question. J’ai aussi limité ma demande à la
dernière année. Je veux bien croire en effet que, en toute bonne foi, certains ont cru à cette légende à l’époque des faits.
Le moteur de recherche m’a proposé 19 500 résultats ! Au tout premier plan, les commentaires : « qui a cru vraiment qu’il contournait la France » et
« de qui s’est-on moqué », en passant par « c’est comme le ministre qui nous enfuma en prétendant que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière ».
J’ai alors constaté que cette évocation était souvent associée au nuage provoqué par l’éruption en avril dernier du volcan islandais Eyjafjöll.
Je ne résiste pas à l’envie de vous rappeler au passage que l’éruption du volcan en question a projeté dans l’atmosphère environ 600 tonnes d'uranium et 1800 tonnes de thorium et que les calculs
montrent que cela représente une radiotoxicité par inhalation
supérieure à celle due des retombées de Cs137 du nuage de Tchernobyl ,même si elles sont moins radiotoxiques à l'ingestion. Non seulement ce problème
n’a été que très rarement évoqué, mais il est probable qu’il est déjà oublié. Il est vrai qu’il n’existe pas de CRIIRADV (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la
Radioactivité volcanique), pour agiter le chiffon rouge et pas de responsable à dénoncer (mère Nature est bonne par principe).
Revenons à notre fabuleux nuage.
Afin d’éviter ce biais volcanique, j’ai alors limité mes recherches au dernier mois et à la dernière semaine. J’ai quand même recueilli respectivement 412 et 153 réponses. Certes, dans ces pages
quelques-unes, ultras minoritaires, contestent la réalité des faits, mais on peut quand même dire que cette légende à la vie dure et possède une période qui sera sans nul doute supérieure à celle
du Césium 137 principal contaminant de l’explosion de la centrale (30 ans).
Pour tenter, sans grand espoir, d’en finir avec cette légende il faut, à mon avis, répondre à plusieurs questions:
Cette phrase a-t-elle été prononcée ? Nous a-t-on menti ? A-t-on pris les bonnes mesures?
Aucune trace n’a jamais pu être retrouvée et aucune preuve n’a jamais pu être avancée qu’un quelconque responsable ait dit pareille chose. Personne n’est même capable d’énoncer – ne serait-ce que
de mémoire – le nom de son auteur. Sur ce point tout le monde est à peu près d’accord. Certains avancent l’hypothèse qu’un journaliste de télévision montrant du doigt la frontière allemande
aurait prononcé une phrase du genre : « de l’autre côté de la frontière, c’est la panique alors qu’aucune mesure n’a été prise chez nous. Il faut croire que le nuage s’est
arrêté à la frontière ». Ceci est sans doute aussi une légende, car aucun journaliste n'a jamais revendiqué cette phrase historique qui l’aurait pourtant fait passer à la postérité.
Même si la phrase n’a pas été prononcée, nous a-t-on caché la vérité et les responsables ont-ils nié la présence du nuage au dessus du territoire.
Le 26 avril 1986, à la suite d’une invraisemblable erreur humaine , la centrale nucléaire Lenine explosait.
Le 28 avril, la Suède donnait l’alarme suite à la constatation d’une radioactivité supérieure à la normale.
Dès le 29 avril, le Professeur Chanteur, du SCPRI, déclarait : « En France il n’y a aucun risque. On pourra certainement détecter dans quelques jours le passage des particules, mais
du point de vue de la santé publique, il n’y a aucun risque ».
On voit déjà ici les points qui vont être à l’origine de la confusion. Les scientifiques prévoient le passage du nuage sur la France, mais affirment que cela ne comporte aucun danger pour la
population. Un nuage, donc, mais pas de danger. Certains entendront : pas de danger, donc pas de nuage.
Le 30 avril 1986 au soir, le Pr Pierre Pellerin, directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), rédige un communiqué de presse annonçant qu'on observe une
augmentation du niveau de radioactivité sur l'ensemble du territoire français, mais que ce niveau ne justifie pas de prendre des mesures de santé publique particulières.
Si on observe une augmentation du niveau de radioactivité, c’est bien que le nuage est arrivé sur la France. Non ?
Le lendemain étant le 1er mai, les journalistes, sans doute trop occupés par la fête du Travail, ne reprennent pas le communiqué.
Le 2 mai le Pr Pellerin publie le communiqué suivant
Comme vous pouvez le constater, on peut y lire que « L’élévation relative de la radioactivité relevée sur le territoire français à la suite
de cet accident est largement inférieure aux limites recommandées par le CIPR et aux limites réglementaires françaises » et il confirme « ni la situation actuelle ni son
évolution ultérieure ne justifie dans notre pays quelques contre mesures sanitaires que ce soit ».
En clair, le nuage est bien là mais il est, pour nous, inoffensif.
Le journal Libération reprend honnêtement ce communiqué sous le titre « Tchernobyl : le choc du nuage »
C’est alors que, dans les semaines qui suivent, le lobby antinucléaire va se déchainer, relayé par les journaux amateurs de complots. Il faut avouer
que l’occasion est trop bonne !
Sans doute un peu gêné de ne pas faire chorus, Liberation se fait un auto-lavage de cerveau et, oubliant sa précédente publication, se met à l’unisson et titre : « Le mensonge
radioactif », indiquant que « les pouvoirs publics en France ont menti : le nuage de Tchernobyl à bien survolé une partie de l’hexagone ». Pour faire bonne
mesure ils accusent: « Le professeur Pellerin en fait l’aveu deux semaines après l’accident nucléaire ».
Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées à propos des journalistes de Libération:
- ils se laissent involontairement manipuler par certains lobbies, ce qui serait preuve d’une regrettable naïveté.
- ils fournissent des informations partiales, faisant fi de leur sacrée indépendance journalistique.
- ils ont été victimes de retombées radioactives particulièrement intenses au siège de leur journal, ce qui a profondément affecté leur mémoire.
Souhaitons, tant qu’à faire, que la 3e hypothèse soit la bonne.
À la suite de tout cela le Pr Pellerin a été calomnié de toutes parts. En réponse, il a attaqué en justice pour diffamation Michèle Rivasi (Sur le fond, le Tribunal conclut que la diffamation de
P. Pellerin est incontestable), Noël Mamère et Antenne 2 (condamnation après appel et cassation. Cassé par la cour européenne, non sur le fond , mais parce que Le Pr Pellerin n’était plus
fonctionnaire) et J.-M. Jacquemin et son Éditeur (condamnation définitive après appel et cassation).
Il est maintenant incontestable que l’absence de contre-mesure était la bonne solution : on estime que la panique provoquée par les mesures exagérées prises en Allemagne a été la cause de
dizaines de milliers d’avortements thérapeutiques parfaitement inutiles.
L’ancien responsable de la radioprotection en Suisse, Serge Prêtre,a déclaré, en 2005, que : « Le jugement du Professeur Pellerin était correct et fut confirmé par la suite ». Il a
ajouté que : « la dose due au passage du fameux nuage sur la France fut nettement inférieure à la dose annuelle due au radon (naturel) dans les habitations et que la contamination était
3 à 10 fois moins sérieuse qu’en Suisse ».
La morale de tout cela est que :
- Personne n’a jamais prétendu, ni directement, ni indirectement, que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière
- Personne ne nous mentit, comme on a voulu nous le faire croire !
- Les mesures prises ont été satisfaisantes
Alors, ami lecteur, lorsque quelqu’un, devant vous, fera une quelconque comparaison avec le nuage de Tchernobyl et son contrôle à la frontière,
n’ayez pas peur d’en rajouter (il faut bien rire un peu) et racontez lui l’« authentique » histoire du moteur à eau victime des compagnies pétrolières.