Le rapport Lebatard-Sartre sur l'homéopathie fait apparaître à nouveau la nécessité de bien préciser les fonctions des deux organismes officiels qui sont en charge de la pratique médicale : le Conseil de l'Ordre et l'Académie Nationale de médecine.
Le Conseil de l'Ordre des médecins, crée sous le régime de Vichy par la loi du 7/10/1940, a pour mission d'élaborer et d'appliquer un code de déontologie. Il n'a donc pas à proprement parler de fonction scientifique. Son action est souvent contestée, et sa suppression faisait partie des propositions du candidat François Mitterrand lors de la campagne de 1981. Il règle les rapports entre médecins, et entre médecin et malade. En pratique, de très nombreux praticiens s'en désintéressent. Les membres des conseils départementaux ne sont élus que par une très faible proportion de médecins, ce qui favorise les minorités actives, comme les homéopathes. Le conseil de l'Ordre à ainsi, pour manque à la confraternité, décerné des blâmes à des médecins qui se sont publiquement prononcés contre les médecines parallèles (Pr. Marcel Francis Khan, Dr Leroy), sans pour autant justifier la valeur de ces pratiques (ce n'est pas sa fonction ).
L'Académie Nationale de médecine qui fait suite aux diverses Académies Royales fondées à partir de 1731, a pour mission de conseiller le gouvernement pour les problèmes d'hygiène et de santé publique. Elle a donc un rôle proprement scientifique. A plusieurs reprises, à propos de communications concernant l'homéopathie, elle a émis des doutes sur l'efficacité de cette discipline. En 1987, à la suite d'une controverse, elle a indiqué que la prescription de médicaments homéopathiques "ne se justifie que dans les manifestations pathologiques guérissant spontanément". On ne peut être plus clair !
La lettre suivante, très significative de la position de l'Académie, a été publiée dans la revue "Impact Médecin" le 12 octobre 1985 par le professeur Hugues Gounelle de Pontanel ancien président de l'Académie de Médecine et reprise dans Science et Pseudo sciences N° 158
Lettre à un confrère prescrivant un médicament homéopathique sans y croire
Ces lignes ne s'adressent pas à un confrère qui croit en l'efficacité spécifique de la médication homéopathique et la recommande ainsi le cœur pur, mais à ceux qui prescrivent sans y croire un médicament homéopathique. Pour la très grande majorité des patients, une "vraie" consultation doit en effet être assortie d'une ordonnance médicamenteuse, d'utiles conseils ne leur apparaissant pas suffisants. Le patient aurait le sentiment d'avoir été mal écouté, voire "floué". Il ira alors prendre l'avis d'un autre confrère qui lui délivrera, cette fois, l'ordonnance qu'il recherche. Il faut donc contenter celui qui vient consulter, me disiez-vous, et vous avez raison. Mais n'y a-t-il pas d'autre moyen que le médicament homéopathique : en le prescrivant, vous le cautionnez.
Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que au-delà d'une certaine dilution homéopathique, les convaincus de la doctrine font état d'une force inconnue quasi magique, "la dynamisation", résultat des secousses que comporte obligatoirement la préparation du produit. Pourtant, il ne reste plus rien de la substance active, et le solvant seul fait alors office de "médicament". Cette caractéristique vous attire, puisqu'elle place le malade, et vous-même d'ailleurs, à l'abri de complications iatrogènes, tout en apportant à l'intéressé l'apaisement psychologique recherché. Ainsi réagissent ces malades fonctionnels, si nombreux, chez lesquels un diagnostic formel ne peut encore être formulé, ou ne le sera jamais, car heureusement, avec les conseils que vous aurez prodigués et l'évolution naturelle, leurs troubles disparaîtront bien souvent, au moins pendant un certain temps,
Il est bien vrai que la rançon de l'action biologique et de l'efficacité de la thérapeutique allopathique est la possibilité de complications iatrogènes, qu'il est parfois malaisé de prévoir. Leur apparition et leur Intensité varient avec les aptitudes métaboliques personnelles du sujet, les modalités de prise du médicament, l'alimentation, l'environnement, etc. Nous en sommes bien conscients.
Pour répondre au "besoin d'ordonnance" du patient, il existe cependant certaines médications allopathiques qui présentent le double avantage d'un apport positif réel et d'une action psychologique. Il en est ainsi de ces préparations dites stimulantes ou de ces cocktails vitaminiques. Nombreux sont les sujets dont l'état de nutrition peut bénéficier d'un apport équilibré de facteurs nutritifs, acides aminés, vitamines, etc. L'ordonnance concourt alors à pallier des subcarences, voire des carences, cliniquement lnapparentes. Ainsi l'on fait coup double puisqu'on a l'assurance de ne pas prescrire un simple placebo.
Cette façon d'agir apparaît davantage compatible avec l'éthique de notre profession, ou plus exactement de notre vocation. N'est-ce pas attenter à notre dignité que de laisser croire à un patient qu'il bénéficiera des vertus d'une thérapeutique spécifique et personnalisée alors qu'on ne croit pas soi-même à quelque action bénéfique autre que le placebo ? Le risque évident n'est-il pas de rompre la confiance réciproque qui doit présider au colloque singulier médecin-malade ?
On peut craindre à terme I'installation, dans l'esprit du public, d'une méfiance systématique vis-à-vis de l'acte médical, qu'entretient l'engouement actuel, largement favorisé par des médias irresponsables et aussi par des encouragements officiels, pour certaines médecines "parallèles". L'image du médecin s'en trouvera ternie, l'intérêt général de la santé publique, et donc du malade, en sera aussi forcément affecté, Par ailleurs, certains patients à qui vous avez prescrit des produits homéopathiques se sentiront encouragés par la suite, à recourir à une autoprescription de médicaments homéopathiques, qu'ils peuvent (et pour cause) se procurer sans ordonnance, et dans des circonstances où ils auraient besoin d'une thérapeutique autre qu'un placebo. La pression publicitaire qui s'étale dans des vitrines de pharmaciens pousse le public à l'achat direct de médicaments homéopathiques qui ne sauraient être efficaces en cas, par exemple, d'infections sérieuses des voies respiratoires, qui appellent des antibiotiques ou même, éventuellement, la chirurgie (otites, sinusites ... ). En somme, c'est un problème de conscience professionnelle, mais aussi de conscience tout court, qui dépasse la portée de votre prescription. Faut-il donc admettre "peu importe le moyen, seul le résultat compte"?
Ce n'est pas ce que mes maîtres m'ont appris.